Tradition ou modernisme ?

Posted on Juil 15, 2008 in Bucarest, Expédition 2008, Roumanie

L’entrée dans l’Union Européenne ne s’est pas faite sans débats. Regards croisés de deux jeunes bucarestois.

Edmund aime profondément son pays. A tel point qu’à seulement 18 ans, ce jeune lycéen a fondé l’ATCRN, association pour la promotion et la reconnaissance de sa culture auprès des jeunes roumains et des 27 pays de l’Union. L’Europe et la question de l’intégration sont pour lui très importantes. Faire partie de l’UE est une réelle chance… « A une condition cependant : il faut que Bruxelles reconnaisse la spécificité roumaine. L’Europe doit promouvoir la diversité pour éviter l’uniformisation déjà vécue pendant le communisme » explique-t-il.

Le long passé de la Roumanie est très présent dans le discours d’Edmund : « Nous avons vécu sous la domination des Romains, Turcs, Hongrois, Russes, Allemands. Et puis la période communiste… Il a fallu à chaque fois résister pour ne pas perdre notre spécificité culturelle. » Il est aujourd’hui temps pour lui que la Roumanie affiche haut et fort le particularisme et la richesse de son pays. Il déplore, dans un français presque parfait, que la jeunesse roumaine ne s’intéresse pas assez à sa propre culture et préfère l’influence américaine et la grande consommation. Alors, quand le ministre de l’éducation remplace dans le programme du baccalauréat, des textes de la littérature classique par des extraits du Traité instituant une constitution pour l’Europe, Edmund voit rouge. « Connaître l’Europe est très important mais cela ne doit pas se faire au détriment de notre culture, mais au contraire pour sa promotion », ajoute-t-il. L’Europe serait-elle l’acide qui va dissoudre la particularité de la culture roumaine?

La Roumanie a-t-elle le choix ?

C’est de façon plus pragmatique que Claudiu, journaliste de 23 ans à l’antenne roumaine de la BBC (radio) parle de ce problème : « Il faut que nous fassions tous les efforts possibles pour atteindre les standards européens même si ça signifie passer outre les traditions ». La realpolitik fait peu de cas de la nostalgie conservatrice de l’identité culturelle commune et inviolable. « L’Europe est notre seule chance de sortir du marasme de la corruption. Sur les plans politiques, économiques et sociaux, la Roumanie a beaucoup de retard et je ne pense pas qu’on puisse les dépasser seuls », ajoute-t-il. Pro-européen convaincu, il ne voit pas dans les directives européennes un danger. « On parle beaucoup des agriculteurs qui refusent de se mettre aux normes. Ce n’est pourtant pas par anti-européanisme, mais parce que respecter les standards coûte cher et que les aides de l’Europe n’arrivent pas jusqu’aux petits producteurs. Soit parce qu’il ne savent pas remplir des demandes administratives très complexes, soit parce que certains se servent au passage », regrette-t-il.

La mue engagée par le pays depuis la chute de Ceaucescu et le choix clair du mode libéral place la Roumanie dans une nouvelle problématique. Elle se retrouve aujourd’hui face à un ancien démon : la peur de la dissolution de leur identité face à un autre vécu comme envahisseur. L’actualité culturelle du pays traduit ainsi les enjeux profonds de ce débat. Avec le livre Qui sommes nous ?, Dan Puric défend l’importance pour la Roumanie de conserver et de perpétuer les traditions, socle de l’identité nationale. La Roumanie devra pourtant trouver un compromis entre une résistance culturelle qui prend parfois des airs de sclérose et un élan de modernisme qui peut tendre, lui, vers l’oubli dommageable de la richesse des traditions.

Stanislas

3 Comments

  1. Sympa, Edmund. Surtout quand il dit « L’Europe doit promouvoir la diversité pour éviter l »uniformisation.. » Bien d’accord avec lui. Malheureusement, ce n’est pas ce qui arrive…

  2. Intéressant, très intéressant cet article mais la peur d’Edmund de perdre son identité n’était-elle pas d’autant plus justifiée que déjà là? Le vrai envahisseur, absolu et commun celui-ci, n’est peut-être pas l’Europe mais la consommation: comment se défaire d’un fléau qui se fait passer pour une liberté? comment reconnaitre dans un troupeau un loup déguisé en agneau?
    Alors une réponse possible à « Qui sommes nous? »: nous sommes deux, il y a ceux qui ne trouvent rien à redire du monde tel qu’il est (soit qu’ils le subissent, soit qu’ils en tirent parti) et tous ceux qui l’espèrent et le conçoivent autrement.
    « l’Europe est une déesse mortelle » (pour Stanislas, bises)
    Bonne route les amis

  3. Oui, effectivement, le debat entre un modernisme trop rapidement aveugle et la tradition trop facilement immobile est en pleine effervescence en Roumanie…

    La globalisation des culture, tres presente a Bucarest est tres vite moins vive des qu’on entre dans les campagnes. Dans des endroits comme le Maramures, ou la population est tres rurale, le probleme est tout autre : le manque de travail et de perspectives poussent les jeunes a s’exiler  »la-bas », ou pour le meme travail on est paye parfois 10 fois plus…

    Alors le discours de Claudiu prend une autre dimension : comment garder les roumains en Roumanie ?