
Partir au bout du monde à la rencontre des peuples et de leurs cultures, c’est ce que propose aux jeunes l’association Safar* expéditions jeunesse. Des voyageséthiques et éducatifs pour encourager le respect et la compréhension mutuelle entre les citoyens du monde.
Aperçu des revendications étudiantes en Roumanie
Entretien avec Denisa Nica, vice présidente et responsable des relations publiques de l’Alliance nationale des organisations estudiantines roumaines (ANOSR). L’association apolitique, membre de l’European student union (ESU), regroupe soixante organisations locales, soit environ 500 000 étudiants dans toute la Roumanie. Chiffre impressionnant qui fait de l’«Alliance» la première organisation estudiantine roumaine auprès des pouvoirs politiques et des rectorats.
Safar : L’ANOSR est l’organisation la plus importante de Roumanie, quels sont vos champs d’action ?
Denisa Nica : Notre objet est vraiment de représenter les jeunes étudiants roumains dans leur quotidien. Par exemple, nous avons lancé une campagne de sensibilisation de l’opinion publique sur le problème du logement qu’on a appelé «sexe dans le même lit avec mes parents». Le titre et l’affiche étaient volontairement choquants : deux jeunes couchent ensemble entourés de leurs parents. Nous avons repris cette campagne française qui avait déjà inspiré la Belgique et l’Allemagne sur le problème du logement étudiant. Les loyers sont si chers en Roumanie que les étudiants ne peuvent avoir un appartement à eux. Ils n’ont alors que deux solutions : rester dans le logement familial ou s’entasser à cinq dans des campus délabrés. C’est très dur dans ces conditions de suivre sa scolarité.
S : Cette revendication a été entendue ?
DN : Oui, nous avons été reçu par le ministre du Développement durable et du logement. Il en est sorti le lancement d’une campagne officielle d’information sur les recours existants pour obtenir un appartement. Il est vrai que beaucoup d’étudiants ne savent pas ce à quoi ils ont droit. Ce n’est pourtant qu’un premier pas, nous savons qu’il faut rester vigilant sur les promesses du gouvernement de réhabiliter les campus délabrés et de construire de nouveaux logements.
S : Alors votre voix à un poids au sein du gouvernement ?
DN : Oui ! Par exemple, nous avons participé à l’élaboration et à la signature du pacte d’éducation lancé par le ministère dans le but de moderniser l’enseignement et la vie étudiante. Nous avons ainsi pu faire passer la représentation des étudiants aux conseils universitaires de 25% à 33%. Le financement des universités a aussi été discuté. Notre proposition d’un système basé sur le nombre d’étudiants et non sur la rentabilité des diplômes a été retenu. C’est très important pour nous car la très grande majorité des étudiants vont à l’université publique, moins chère et de meilleure qualité. Enfin nous militons pour passer d’un enseignement très théorique à une meilleure valorisation de la pratique, dépassant ainsi l’héritage des années Ceaucescu.
S : L’Europe a-t-elle apporté des changements notables dans la vie des étudiants ?
DN : Pour nous, l’Europe c’est avant tout l’ouverture vers l’étranger et la simplification des démarches administratives. La très grande majorité des étudiants roumains souhaitent partir étudier en Espagne, en Allemagne, en France… L’effet positif est donc d’avoir permis l’élargissement des horizons et l’enrichissement des formations universitaires. Mais il y a très peu de places : en moyenne 10 places pour une université de 1000 étudiants. Il y a donc une compétition très forte entre nous pour partir. Un autre effet négatif, de plus en plus présent, est ce que l’on appelle ici « l’export d’intelligence ». Les meilleurs partent et cherchent à s’installer dans les pays de l’Europe de l’Ouest. Bien qu’ici la possibilité d’accéder à des postes à responsabilités rapidement est bien plus élevée qu’ailleurs, les salaires sont trop bas et ne permettent pas de retenir les jeunes roumains. Mais ce phénomène est encore trop nouveau pour en tirer des conclusions. Nous sommes là pour inciter le gouvernement à regarder attentivement ce problème.
Propos recueillis par Oana, Floriane et Stanislas.
Tradition ou modernisme ?
L’entrée dans l’Union Européenne ne s’est pas faite sans débats. Regards croisés de deux jeunes bucarestois.
Edmund aime profondément son pays. A tel point qu’à seulement 18 ans, ce jeune lycéen a fondé l’ATCRN, association pour la promotion et la reconnaissance de sa culture auprès des jeunes roumains et des 27 pays de l’Union. L’Europe et la question de l’intégration sont pour lui très importantes. Faire partie de l’UE est une réelle chance… « A une condition cependant : il faut que Bruxelles reconnaisse la spécificité roumaine. L’Europe doit promouvoir la diversité pour éviter l’uniformisation déjà vécue pendant le communisme » explique-t-il.
Le long passé de la Roumanie est très présent dans le discours d’Edmund : « Nous avons vécu sous la domination des Romains, Turcs, Hongrois, Russes, Allemands. Et puis la période communiste… Il a fallu à chaque fois résister pour ne pas perdre notre spécificité culturelle. » Il est aujourd’hui temps pour lui que la Roumanie affiche haut et fort le particularisme et la richesse de son pays. Il déplore, dans un français presque parfait, que la jeunesse roumaine ne s’intéresse pas assez à sa propre culture et préfère l’influence américaine et la grande consommation. Alors, quand le ministre de l’éducation remplace dans le programme du baccalauréat, des textes de la littérature classique par des extraits du Traité instituant une constitution pour l’Europe, Edmund voit rouge. « Connaître l’Europe est très important mais cela ne doit pas se faire au détriment de notre culture, mais au contraire pour sa promotion », ajoute-t-il. L’Europe serait-elle l’acide qui va dissoudre la particularité de la culture roumaine?
La Roumanie a-t-elle le choix ?
C’est de façon plus pragmatique que Claudiu, journaliste de 23 ans à l’antenne roumaine de la BBC (radio) parle de ce problème : « Il faut que nous fassions tous les efforts possibles pour atteindre les standards européens même si ça signifie passer outre les traditions ». La realpolitik fait peu de cas de la nostalgie conservatrice de l’identité culturelle commune et inviolable. « L’Europe est notre seule chance de sortir du marasme de la corruption. Sur les plans politiques, économiques et sociaux, la Roumanie a beaucoup de retard et je ne pense pas qu’on puisse les dépasser seuls », ajoute-t-il. Pro-européen convaincu, il ne voit pas dans les directives européennes un danger. « On parle beaucoup des agriculteurs qui refusent de se mettre aux normes. Ce n’est pourtant pas par anti-européanisme, mais parce que respecter les standards coûte cher et que les aides de l’Europe n’arrivent pas jusqu’aux petits producteurs. Soit parce qu’il ne savent pas remplir des demandes administratives très complexes, soit parce que certains se servent au passage », regrette-t-il.
La mue engagée par le pays depuis la chute de Ceaucescu et le choix clair du mode libéral place la Roumanie dans une nouvelle problématique. Elle se retrouve aujourd’hui face à un ancien démon : la peur de la dissolution de leur identité face à un autre vécu comme envahisseur. L’actualité culturelle du pays traduit ainsi les enjeux profonds de ce débat. Avec le livre Qui sommes nous ?, Dan Puric défend l’importance pour la Roumanie de conserver et de perpétuer les traditions, socle de l’identité nationale. La Roumanie devra pourtant trouver un compromis entre une résistance culturelle qui prend parfois des airs de sclérose et un élan de modernisme qui peut tendre, lui, vers l’oubli dommageable de la richesse des traditions.
Stanislas
Scénettes de vie des vieux
Dans une ruelle de Bucarest, un couple de vieux clopine devant moi. Chapeau de paille et canne pour monsieur, foulard sur la tête et robe à fleurs pour madame, les images d’Epinal de Roumanie ressurgissent dans ma tête. Sur les photos de voyage ou sur les cartes postales du pays, les vieux symbolisent cette Roumanie ancienne et traditionnelle. Les visages ridées, les corps frêles et usés, témoignent d’un douloureux passé, rappellent les périodes de pénuries vécues durant le communisme.
Dans un parc de la capitale, assis sur un banc, quelques vieux s’accordent un peu de repos, bien mérité. Ils observent inlassablement la nouvelle génération s’émanciper. A la ville comme à la campagne, l’écart et les différences de mode de vie entre les vieux et les jeunes sont bien plus flagrants que dans l’Europe de l’Ouest. Si en France, les retraités n’ont rien à envier aux jeunes salariés, d’un point de vue pécunier, ici les grands parents font quasiment l’aumône à leurs petits enfants. Alexandru est ingénieur en bâtiment, il travaille à Bucarest depuis un an et demi et gagne 900 euros par mois. Dans son village natal, en montagne près de Sibiu, sa grand-mère tente de survivre chaque mois avec seulement 150 euros.
Au marché des produits traditionnels de la ville, un vieil homme tente de gagner ses « mici » (petites saucisses de viande hachée) en vendant aux passants quelques brins de lavande à 1 lei – soit l’équivalent de 28 centimes d’euros. A quelques pas de là, un autre vieillard propose quelques gouses d’ail. Après une vie laborieuse, les vieux, ici, se voient contraints de travailler pour subsister à leurs besoins. Parmi les petits boulots des anciens, citons celui plutôt original de « mamie ascenceur ». Assise sur un tabouret, à côté des boutons de l’ascenceur, une femme de plus d’une soixantaine d’années conduit à longueur de journée les jeunes fêtards, en haut de l’immeuble où se trouve le fameux bar « La Motoare ». Pour se divertir ou pour arrondir ses fins de mois, la vieille femme ne quitte pas une seconde sa broderie.
Sur un trottoir de la ville, à la nuit tombée, un couple de personnes agées s’installe sur un matelas de fortune le long d’un mur. Ils s’apprêtent à passer leur énième nuit dehors. Tous les vieux n’ont pas la chance ou la malchance d’avoir un petit boulot, alors certains n’ont plus comme unique recours que la mendicité. A Bucarest, il n’est pas rare de voir deux vieux se croiser et échanger, sans un mot, quelques leis, sorte de geste de solidarité évident pour combler les dettes du passé.
Anna
Des pickpockets vraiment pas doués!
Prévenu du risque encouru d’avoir à faire à certaines personnes indiscrètes qui se permettent, sans vous avoir demandé la permission, de délester votre sac, le touriste est sur la défensive quand il se rend dans un pays étranger ; et d’autant plus quand il se trouve dans une grande ville ! En ce qui concerne la Roumanie, Bucarest n’échappe pas à la règle puisqu’en une semaine Charlotte et moi avons eu à faire à deux reprises à ces énergumènes aux mains baladeuses.
Mais rassurez-vous ! Pour Charlotte comme pour moi, il nous a suffi d’un instant pour nous rendre compte qu’un malapri cherchait à fourrager dans nos affaires sans aucune discrétion ! Pris en flagrant délit, nos détrousseurs amateurs se sont retrouvés tout penauds et ont fui le lieu du crime sans demander leur reste, sous le regard sévère de passants honnêtes. Peut-être les pickpockets roumains devraient-ils venir prendre des cours auprès des nôtres, beaucoup plus professionnels à mon goût.
Floriane
Pas de musique dans ce joyeux bordel urbain sonore?
En me rendant à Bucarest, capitale de la Roumanie, je m’attends à trouver un foisonnement de danse et de musique, une frénésie de sons, des violons et des guitares à chaque coin de rue, de jour comme de nuit. Arrivée à Bucarest, première déception : j’entends bien un bruit incessant de moteurs et de klaxons, propre à toute capitale qui se respecte, mais où sont les musicos? Et les jeunes? Pas de musique dans ce joyeux bordel urbain sonore? Perplexe face à cette absence, je me renseigne auprès d’Oana, notre partenaire roumaine. Elle m’explique, une pointe d’amertume dans la voix, que la jeunesse a mis de côté la musique traditionnelle, et que la musique actuelle est avant tout commerciale. En France aussi nous avons notre lot de « tubes » à bas prix relayés par la radio ou MTV. Mais pour autant, la scène musicale française ne se cantonne pas à cette pollution sonore. Une multitude d’artistes plus ou moins connus la nourrit, l’entretient et la renouvelle sans cesse. Ici il y a rupture.
En ce moment en Roumanie, la mode est en partie à la musique Electro house : les nombreux jeunes clubbeurs se retrouvent dans les boîtes de nuit, font la fête jusqu’à pas d’heure, dépensent le salaire d’un mois en alcool et en sapes… Mmh, il me semble avoir déjà vu ça quelque part, pas vous? L’autre favori du moment au Hit-parade roumain est le «Manélé». Il s’agit d’un rap roumain aux consonances orientales chanté par les Tziganes et les jeunes des périphéries. Les textes parlent de fric, de femmes, d’ennemis à tuer et de drogue. Un mix infâme à la mode américaine avec les grosses voitures et tout le bling-bling qui va avec. Cette musique des périphéries ou «musika de Mahala» (musique des faubourgs) est loin de l’image qu’on a en France de la musique tzigane, en allant de l’accordéoniste du métro au petit concert dans un bar.
Où sont les artistes engagés?
Pour ceux qui se souviennent du groupe roumain O-Zone, leur single «Brezia, Brezia» incarne à la perfection cette musique de basse qualité. Afin de nuancer les choses il est important de préciser que ce boys band a connu un succès important surtout à l’extérieur du pays. De plus, les premiers à critiquer cette musique sont de jeunes Roumains qui préfèrent les milieux alternatifs, rock, folk ou encore métalleux à cette commercialisation sonore. De petits bars et salles de concert dispersés un peu partout dans la capitale abritent ce genre de soirées. Mais qu’en est-il des textes et des artistes engagés qui portent en eux la rébellion d’une jeunesse, ses déceptions, ses aspirations ?
Laurenzo, guitariste et batteur, et son ami Orzo Claudiu, dit «Ciripoiul» (oiseau qui chante), flûtiste émérite, tous deux musiciens autodidactes, ont bien voulu m’éclairer sur le sujet. Pour eux, la musique est avant tout un moyen de s’extraire de la réalité et non de la remettre en cause. Leur regard est celui de jeunes désabusés, pour qui «les jeux sont faits et l’engagement politique une perte de temps». Ce sentiment d’impuissance et cette absence de volonté protestataire étonnent de la part de jeunes ayant toute la vie devant eux. Ce n’est pas qu’ils n’attendent plus rien de la vie ou du futur, mais plutôt que «la situation ne peut pas être pire que maintenant». Appelons ça de l’optimisme blasé.
Pour Claudiu, dont le grand-père jouait également de la flûte dans le «ciobosmesc», la musique permet de voyager. Ce jeune homme de 23 ans qui n’est jamais sorti de son pays natal se retrouve ainsi transporté en quelques notes au sommet des Andes, en Irlande et à Naples à travers des airs qu’il joue à la perfection sur sa flûte en plastique (la même que vous aviez sûrement en sixième).
Le principal (voir l’unique) porte-parole de la musique engagée est le groupe Paraziti. Les Parasites caricaturent et tournent en dérision la musique Manélé, dénoncent la corruption politique, parlent des injustices sociales. Leurs paroles peuvent être perçues comme violentes, voire vulgaires, mais elles ont le mérite de relayer les revendications sourdes. Pour faire passer un message et réveiller les esprits, les mots les plus simples peuvent parfois être plus efficaces que les longs discours. Le mécontentement de la jeunesse roumaine semble être un sentiment partagé mais son expression peine à poindre.
Floriane
Regards croisés sur Bucarest
Bucarest : plus ville européenne que capitale de la Roumanie ? Impressions en demi-teinte de deux jeunes roumaines sur la capitale de leur pays.
«Je n’aime pas Bucarest». Immenses rues, poussière et trottoirs défoncés, Oana, étudiante de 20 ans à Iaşi dans le nord-est du pays découvre sa capitale. Elle est surtout étonnée par le contraste brutal entre le délabrement de la ville et le luxe et l’opulence : grosses berlines aux sonos bruyantes, mode provocante de certaines bucarestoises… «Je ne pense pas que Bucarest représente mon pays». Ses yeux pas habitués aux capitales étrangères – c’est la première fois qu’elle quitte sa Moldavie natale – y voient une grande ville qui refuse l’identité nationale au profit d’un modèle trop occidental. «La Roumanie n’est pas l’ouest mais l’Europe centrale, de l’est. L’identité roumaine est dans les campagnes, les traditions sont dans les villages». Et les immenses panneaux publicitaires des grandes multinationales, les passants affairés les bras remplis de sacs entrants et sortants des grands centres commerciaux semblent lui donner raison.
«La nature n’est pas habituée à la ville»
Pour Cristina, étudiante pendant trois ans à l’université de la capitale, Bucarest n’a jamais eu de culture et d’identité propre. «Bucarest a toujours attiré les jeunes roumains en raison du faible taux de chômage et des opportunités plus nombreuses que dans les campagnes». Les vagues successives et continues de migrants auraient façonnées une ville construite «comme un ensemble de petits villages». Chaque région possédant sa culture propre, elles furent importées dans la ville sans jamais vraiment se mélanger pour constituer une identité propre.
Mais les mouvements migratoires n’expliquent pas tout. Cristina pointe aussi la gestion «chaotique» de l’urbanisme. «C’est une ville pas entretenue. Les mauvaises herbes poussent entre les dalles des trottoirs… c’est comme si la nature ne c’était pas habituée à la ville, alors elle reprend ses droits». Bucarest, ville contre-nature ? La Roumanie a en effet, tout au long de son histoire délaissé la ville au profit des villages. «C’est principalement avec les communistes que les grands complexes urbains ont été façonnés. Avant il n’y avait pas de grandes villes en Roumanie» nous dit-elle. «Aujourd’hui encore, avec le changement économique, les travaux et les aménagements se font à toute vitesse mais manquent de cohérence». En effet, partout poussent des complexes urbains ultramodernes tandis que des conflits de propriétés paralyses les rénovations indispensables aux immeubles déjà existants. Le régime de Ceaucescu avait chassé de leurs appartements bon nombre de propriétaires roumains. Ces infortunés d’hier reviennent aujourd’hui et réclament la restitution de ce qui leur a été confisqué.
C’est donc un amour vache que portent les Roumains à leur capitale. Elle semble porter les stigmates d’une identité roumaine marquée par un passé communiste et déstabilisée par une course effrénée à la consommation. La dynamique est pourtant là, bien perceptible. Le trafic intense, le boom immobilier et le rythme soutenu du quotidien des Bucarestois sont autant d’indices qui témoigne de la volonté de Bucarest d’égaler les autres capitales européennes.
Stanislas
Sur le chemin du marché traditionnel
« Produce traditionale din Bucovina, La Bacia ». Ces mots, gravés sur une discrète plaque en bois, marquent l’entrée du marché Targul Taranului Roman de Bucarest. Il est à peine 10h, nous nous trouvons sur la Piata Amzei, à deux pas de la Romana, où une présentation de produits traditionnels roumains se tient du 12 avril au 26 octobre 2008. C’est l’occasion pour nous de goûter aux saveurs locales du pays et d’apprécier les réactions des exposants-paysans, pour beaucoup pessimistes quant à leur avenir professionnel, dans cette Europe remodelée.
Précédés de notre journaliste du jour, Claudiu, correspondant à la BBC, nous pénétrons dans le marché. Une dizaine de stands, fièrement dressés se font face, dessinant un couloir gastronomique ombragé par les immenses parasols qui se chevauchent. A l’entrée, des bols en porcelaine aux couleurs bigarrées côtoient vaisselles et cuillères confectionnées dans un bois raffiné. Pas le temps de s’appesantir sur les nuances, mon nez est aussitôt interpellé par les effluves de saucisses (carnati), de jambons et autres viandes qui se dégagent des présentoirs alentours. Nous tentons de nous frayer un chemin au milieu des badauds, jeunes et anciens, pour approcher, observer, sentir, parfois même goûter les produits. Finalement, on fait aussi notre marché. « Brasov, Zarnesti… »… D’anciennes ardoises, suspendues aux armatures des tentes, indiquent à la craie la provenance des vivres.
La Palinca, un cul-sec et ça repart
Séduit et contemplatif, mon oeil s’arrête plus loin sur les fromages de chèvre (branza de cabra). L’odeur est plus ténue que la viande mais l’allèchement de mes babines est intacte. Les musiques traditionnelles du Mara Mures facilitent la digestion de l’endroit au même titre que les livres, cartes postales et guides disposés à la consultation et à la vente dans une maisonnette en bois. Je reprends la route et recroise un boucher puis un fromager. Les herbes, olives (masline) et pains (paines) épicent cette route des plaisirs de bouche. Ma vue et mon odorat repus, je me laisse tenter par un cul-sec d’eau de prune (Palinca). « Noroc ! » (santé). Le producteur, habillé en vêtements traditionnels, m’en propose un autre. La gorge chauffée à sec par le breuvage, je décline l’invitation, me sentant subitement coupable d’une ingurgitation si matinale.
A la fin du parcours, sans salive, je me rappelle alors mon vide stomacal. Pas de panique pour autant… Une fumée m’attire… Un stand barbecue propose des mici (de petites saucisses épicées, véritables reines des repas pendant l’été). On peut alors commander, s’installer et déguster sur une table de picnic. Notre course est finie. Il ne me reste plus qu’à acheter quelques fruits au marché couvert permanent tout proche pour satisfaire complètement le palet. Nous quittons ce petit monde bien tranquille et replongeons d’un coup dans le stress et le brouhaha du centre ville.
Fabrice
Happy to be in the EU? Not so sure …
Samedi soir à La Motoare, un des cafés les plus branchés de la capitale, un groupe de jeunes discute. Parmi eux Vlad et Oana. Vlad étudie l’architecture, Oana, l’art. Quel regard portent-ils sur l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne ?
Européens, ils le sont, sans aucun doute. Pour eux, la Roumanie a sa place en Europe, par sa culture, par son histoire, par son emplacement géographique … Pourtant, il leur manque une chose, et pas des moindres : le sentiment d’être accepté dans cette communauté qu’est l’Union européenne. «Nous voulons être vus comme des européens», explique Oana. «En tant que touristes, il n’y a pas de problème, mais dès que nous venons pour étudier, travailler et vivre, nous sommes regardés comme des moins que rien», explique-t-elle d’un air dépité. «Nous nous sentons comme les «Noirs» de l’Europe», explique Oana dans une comparaison avec les Etats-Unis des années soixante.
Ces jeunes sont déçus. Depuis l’entrée dans l’Union, ils ont le sentiment que les prix ont augmenté alors que les salaires non, ou très peu. Des entreprises européennes viennent s’installer mais ne leur offrent pas un salaire à la hauteur de leurs qualifications. Vlad, qui travaille dans l’une d’elles, me raconte qu’il est payé deux fois moins qu’un expatrié. Et pour le même boulot. Optimiste, j’avance que cela changera. Moue dubitative et mouvement de négation : eux n’en croient pas un mot.
Et moi qui pensais que la Roumanie avait au moins pour elle des avantages financiers : les fonds structurels, dont les régions roumaines vont beaucoup bénéficier, et la PAC – politique agricole commune. Mais eux m’expliquent que les financements et les normes européennes ont aussi leurs aspects négatifs. En particulier, qu’elles détruisent certaines productions traditionnelles. Il est vrai que ce problème s’est aussi posé pour les fromages français… Frustrés, ces jeunes considèrent que leur pays a très peu négocié son entrée dans l’Union, que tout a été cédé.
Quand nous nous quittons, la nuit est déjà bien avancée. Une seule chose est sure, je ne m’attendais pas à un regard si amer sur l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne.
Jessica
Suivez les guides !
Pour apprivoiser, sentir, s’imprégner et apprendre d’un pays et d’une ville aussi « monumentale » que peut l’être Bucarest, rien de tels que quelques guides dans la poche. Mais détrompez-vous, dans mon esprit, « guides » ne désignent pas nécessairement les Manouels Routard, Petit Futé et autres Lonely Planet, trop inanimés à mon goût. Je ne suis pas là pour préjuger de leur utilité mais j’ai tendance à mettre en doute leur sensibilité, leur partialité et, accessoirement, leur précision. Et, à trop vouloir les suivre, on a tendance à se perdre, noyées dans leurs centaines de pages d’informations partant tous azimuts. Cherchez l’évasion et l’info, éloigner l’évasif, tel apparaîtrait le credo.
Pour se familiariser avec les sites bucarestois, nous avons préféré opter pour un être fait de chair et de sang, le chef-guide Cristina Stanculescu, étudiante en Sciences politiques à Paris, une de nos correspondantes roumaines ici. A ses côtés et accompagnés de Z1 et A1 (noms de nos deux caméras choyées et chéries), nous avons emprunté la Calea Victoriei pour atteindre la place de la Révolution. C’est là que nous avons installé notre premier plateau filmé. Un endroit propice, chargé d’H(h)istoire(s)… Une invitation certaine à revisiter le passé. Nous avons poursuivi la visite sur le Bulevardul Unirii, avenue aux dimensions extravagantes et à la ligne d’horizon infinie. Ah, parlons-en de cette fameuse ligne d’horizon ! Je m’en souviendrai à l’avenir. Ce fut ma perte en cette première journée de formation caméra. « Fais attention à ta ligne d’horizon ! »… « Grosso modo », cette phrase pourrait résumer les critiques observées à mon égard lors du debriefing de fin de tournage.
La prise d’images s’est achevée face au Palais du Peuple, marque la plus frappante de la mégalomanie de Ceaucescu. Ce bâtiment qui abrite la Chambre des députés et le Sénat roumains propose des normes démesurées. Preuve en est, ces quelques chiffres : 270 mètres de long sur 240 mètres de large, une hauteur de 86 mètres, 1100 pièces réparties sur 12 étages et 350 000 mètres carrés de surface au sol, ce qui en fait le second plus grand édifice du monde après le Pentagone et surtout le plus imposant d’Europe. Rien que ça.
Après plus de deux heures de marche, c’est l’heure du clap de fin. Frappés par plus de 30 degrés au soleil, nous regagnons un bar pour rafraîchir et restaurer nos idées. Préserver notre guide aussi pour les prochaines aventures. Remarquez… On a prévu le coup, on a des guides de rechange…
Fabrice
Entrer dans Bucarest
Arriver dans une ville nouvelle est une expérience étrange. Il y a des odeurs, des sons, des couleurs qui lui sont propres : la ville offre au voyageur un premier visage, une surface étrange et énigmatique que l’homme tout juste arrivé se doit de déchiffrer. Excitation des premiers jours.
Que voit-on justement, lorsqu’on arrive à Bucarest ? L’espace, d’abord. Grandes rues, places immenses… Champs d’asphalte fatigués, supports d’une circulation intense. L’espace des rues rapidement réduit par la densité étouffante du trafic. Un espace qui ne respire pas, mouvement asphyxié mais mouvement quand même : premier paradoxe.
Et puis des façades qui nous rappellent à un passé faste. Mais ce temps semble avoir été laissé là, comme un souvenir toujours présent qu’on ne veut pourtant pas se remémorer. La pierre desquame, s’effrite. Adossés aux façades chargées, marquées par la sensibilité ronde, presque pulpeuse de la fin du XIXe siècle, s’adossent en voisins fatigués les immeubles solides, imposants et droits de la période communiste. Rien n’aurait-il changé depuis ? Non, comme une évolution adolescente, la ville se fait dysharmonique. Au sommeil profond d’une grandeur disparue, s’opposent, comme la provocation d’un modernisme effréné, l’acier et le verre rigides et froids des bâtiments nouveaux : deuxième paradoxe. Mort lente d’une civilisation qui ne veut pas se rappeler ou appel à la mue ?
Le boulevard Dacia s’allonge sous nos pieds fatigués par le voyage et le poids des sacs et continue de nourrir nos yeux perplexes ; Bucarest n’est pas à une contradiction prête. Sur le bitume brûlant et usé, berlines et petites sportives allemandes se partagent le territoire. Le chant métallique des cylindres neufs, en contre temps avec la peau fatiguée de la ville, rappelle à ceux qui en doutaient encore que Bucarest est une capitale européenne où la consommation et le faste du confort « à l’occidental » semblent être la partie la plus visible de cette identité européenne.
Stanislas