
Partir au bout du monde à la rencontre des peuples et de leurs cultures, c’est ce que propose aux jeunes l’association Safar* expéditions jeunesse. Des voyageséthiques et éducatifs pour encourager le respect et la compréhension mutuelle entre les citoyens du monde.
Le foulard de la tradition
Dans le Maramures, le port du foulard n’est pas une question de religion mais de tradition, il en va néanmoins de la réputation des jeunes filles.
Dans les champs, au marché ou à l’église, le foulard semble l’accessoire indispensable des femmes du Maramures. Dans un premier temps, cet habillement, jupe à fleurs et tissu sur la tête, m’est apparu comme une marque de folklore, comme la preuve, qu’ici à Breb, les habitants n’ont pas succombé au modèle occidental.
Dans un second, je me suis interrogée sur l’utilité de ce fichu qui recouvre les cheveux. Est-ce pour se protéger du soleil et de la pluie ? Est-ce un signe de respect pour entrer dans l’église ? En voyant les fillettes de 12 ans jouer dans la rue, la tête couverte, je restais tout de même dubitative sur le sujet.
Et puis j’ai rencontré Illiana. La particularité de cette jeune femme de 27 ans, outre son tempérament volubile, c’est cette crinière blonde qu’elle affiche sans pudeur. Me sentant à l’aise avec cette jeune femme libérée, voire rebelle du point de vue de sa belle-famille, j’aborde la question qui me trotte dans la tête depuis quelques jours : « Pourquoi les femmes ici portent-elles un foulard sur la tête ? ». Ma question la fait rire. Elle ressort de son placard les foulards pour lesquels elle avait dépensé des fortunes. « C’est la tradition » m’explique-t-elle, ce sont les anciens qui incitent les filles à se couvrir les cheveux.
Si dans les pays musulmans, les hommes sont souvent pointés du doigt sur la question du port du foulard, ici se sont surtout les mères qu’Illiana accuse. Les femmes du village pensent que les filles qui ne portent pas le foulard vont draguer tous les garçons et sortir avec. La réputation de « traînée » menace donc celles qui ont décidé de laisser leurs beaux cheveux à l’air libre.
Le plus étonnant dans cette histoire, c’est qu’au moment même de la discussion, une amie d’Illana s’est jointe à nous, vêtue d’un foulard et d’un tee-shirt si moulant, que l’on ne voyait que sa poitrine imposante et un bout de son ventre.
Anna
Retrouvez les photos du Maramures sur Flickr.
Légende, rumeur ou réalité ?
Il était une fois un brave paysan nommé Gheorghe qui vivait dans le village de Breb, perdu au fin fond du Maramures. Chaque jour, après une dure journée de labeur, le vieil homme raccompagnait son unique et fidèle vache, Fiorita, à l’étable.
Par une fin d’après-midi orageuse, Gheorghe décida de rentrer au plus vite au village, et coupa à travers champ. Chemin faisant, il croisa une vieille femme pliée en deux, semblant porter le poids de laborieuses années. L’oeil noir, le regard perçant, donnait à cette dame des allures de corbeau. Georghe poursuivit sa route et accéléra le pas. Arrivé à l’étable, il s’assit à côté de Fiorita, sur son tabouret en bois et commença à la traire. Une pression, deux pressions… mais rien ne sortit du pis de sa vache. Il n’y avait plus rien dans les mamelles de Fiorita. Le lait avait disparu!
Paniqué, ne trouvant aucune explication à ce qui lui arrivait et n’osant en parler à personne de peur de passer pour un fou, le brave homme finit par se rendre chez le sage du village. Quelques mots suffirent au sage pour comprendre qu’un maléfice était la cause du malheur, et demanda à Gheorghe s’il n’avait pas offensé ces derniers jours une quelconque personne. Gheorghe n’était pas le genre d’homme à se faire des ennemis. Il avait beau chercher au fin fond de sa mémoire, rien ne lui venait à l’esprit. Tout à coup, lui apparu l’image de cette vieille femme au regard noir.
Sans plus attendre, le vieil homme se rendit à l’endroit ou il avait croisé la sorcière pour la première fois. Il la découvrit en train de filer sa quenouille sur le pas de sa porte. La vieille femme fit semblant de ne pas le voir. Quand Georghe l’interpella, elle ne répondit mot, le toisant d’un air narquois. Gheorghe finit par avoir recours à la menace, lui disant qu’il allait en parler à tout le village, puis repartit, le coeur gros.
Une fois chez lui, Gheorge alla voir sa vache devenue fardeau, se demandant s’il fallait la tuer tant il était désespéré. Tâtant ses mamelles par habitude, la vache décolla du sol, laissa échapper un cri et subitement, le lait tiède jaillit, l’étable frôlant l’inondation!
Depuis ce jour, la vieille femme a disparu, laissant un tas de cendre au pied de sa quenouille… quant à Gheorghe, il ne parla jamais à personne de ce qui lui était arrivé… mais dans un village comme celui de Breb, les bruits étranges circulent et rien ne peut les arrêter…
Légende, rumeur ou réalité? Maria, âgée de 83 ans, y croit dur comme fer. Lorsqu’elle nous conte cette histoire, la frayeur se lit dans ses yeux.
Du lait disparu et réapparu, des filtres d’amour, des enfants morts qui ressuscitent, ces contes de bonnes femmes foisonnent dans le village de Breb. les vieilles femmes raffolent de ces friandises qui pimentent leur rude quotidien, et donnent du sens à leur malheur.
La recette pour rentrer en contact avec les forces surnaturelles? Prenez un village traditionnel, saupoudrez-le de superstitions, ajoutez-y une cuillère de commérages et un zeste de jalousie. Arrosez les habitants de ţuica (alcool de prune à 50°), jetez y quelque serpents et chauves-souris, mélangez le tout dans un cadre isolé du monde, laissez vieillir …et vous obtiendrez des générations d’histoires à dormir debout.
Légende, rumeur ou réalité?
Vasile Oanea: un poète à Breb
Une vieille femme recroquevillée dort.
Dans cet intérieur modeste, elle fait partie du décor.
Des centaines de livres encerclent la télévision.
Comme les montagnes environnantes, elles ont subi l’érosion.
Les ouvrages traitent d’histoire, de photo, de chimie
mais chez Vasile la plupart concernent la poésie.
Sa survie, il la doit à la terre
qu’il travaille du matin au soir
Sa survie, il la doit à ses vers
qui lui donnent de l’espoir.
Ses premiers écrits furent pour une femme, puis deux, puis trois…
Mais aucune d’entre elles ne s’endormit dans ses bras.
Il faut dire qu’il est fan de Mihai Eminescu
le célèbre poète romantique
Pas étonnant, du coup
que sa vie soit faite d’amours platoniques
Pourquoi ne publies-tu pas?
la guigne répond-il.
Né dans une bonne famille
ç’aurait été plus facile.
Tout se qui se passe dans le village
est répertorié dans ses carnets
Il est surtout question d’enterrements, de mariages
et de tout ce qui ne peut rester secret.
Il écrit depuis qu’il a 19 ans
des faits divers, des poèmes, des histoires
Le nombre de pages remplies est impressionant
elles jaillissent de ces armoires.
Tout les gens du village ont un poème a leur nom
En plus de l’écriture, la générosité est un de ses dons.
Il a gagné un concours de poésie
mais ça n’a pas changé sa vie.
Des fois un journal le publie
mais ça ne va pas changer sa vie.
Comme pour tout ceux de la région
sa vie est dure.
Ils ont besoin pour vivre de s’accrocher à quelque chose.
mais en plus de la religion, lui a la littérature.
Il se nourrit de ses livres et offre ses modestes proses.
Sartre est l’auteur de sa phrase favorite
“Je suis condamné à rester libre”
C’est ainsi que la vie de Vasile est écrite.
Mathieu
Un dimanche à Epureni
Le soleil, un lac, des vaches, des pêcheurs affairés… Mais pas même un bout de pain à se mettre sous la dent ! Nous nous trouvons tout juste à une quinzaine de kilomètres de Iaşi. Guidés par un ventre criant famine, nous errons de fermes en fermes avec nos quelques mots de roumain « Buna Ziua », pour saluer, « mancat? » pour manger, « mulţumesc » pour remercier… Une femme se démenant à son tour avec ses lointains souvenirs de français nous indique un chemin à emprunter. Nous suivons son conseil et reprenons la route.
A l’horizon apparaît un énorme tas de foin monté sur une petite charrette. A ses côtés se tient un homme, le teint rouge, une casquette vissée sur la tête. Le ventre creux, nous l’abordons et lui demandons un endroit propice à la restauration de nos estomacs en détresse. Simple et généreux, il nous invite à venir ripailler en sa demeure. Ni une, ni deux, nous grimpons en haut de la « caruţa », véritable fantasme d’évasion.
Destination Epureni, village de 800 âmes lové dans la vallée. Censé durer quatre minutes selon Vasile, notre chauffeur du jour, le voyage s’éternise finalement plus d’une demi-heure. Le temps de savourer la balade, sourires béats, et de s’extasier devant les charmes de la campagne, tels des rois dans leur carrosse. Nous arrivons à bonne adresse. Le grand-père nous accueille, se met aux petits soins pour nous : soupe, mămăliguţa (polenta), fromage frais de brebis et moults abricots au menu. Nos ventres s’en trouvent vite repus.
Une fois sortis de table, Vasile nous invite à aller nous reposer dans la chambre. Surpris par une telle proposition, nous lui expliquons que nous ne sommes pas fatigués, à grand renfort de gestes évocateurs et de parlers italien, français, anglais, espagnol… Rien n’y fait. Il insiste. Nous plions. Au bout de trois quarts d’heure de sieste simulée, nous nous éclipsons de la pièce. Vasile, assoupi dans la salle mitoyenne, se réveille. Il nous sert un café, du vin, de la bière, du Coca… Et encore des abricots, à ne plus savoir qu’en faire.
Tandis que notre hôte nous fait la visite de sa propriété, le voisin nous interpelle. « Ciorba (soupe)? » Bien que rassasiés, les mots nous manquent pour refuser l’invitation. Après quelques lampées, nous parvenons à couper court à ce nouveau déjeuner, non sans une certaine gêne. C’est ce moment que choisit la femme de Vasile pour arriver. Elle passe le portail, nous jette un regard, parvient à hauteur du pas de la porte, salue son mari et, soudain, laisse éclater sa fureur. Elle file se réfugier dans la maison, prenant bien soin de claquer la porte au passage. Cris, insultes (nous présumons) fusent dans le foyer.
Vasile tente de la raisonner. En vain. Il sort, penaud, et nous rejoint dans le jardin. Silence. Nous ne savons plus où nous mettre. En un regard, nous comprenons qu’il est temps de partir. Mal à l’aise, notre hôte nous fait signe de le suivre. Nous lui emboîtons le pas. Pour le remercier de son hospitalité, nous l’invitons à notre tour au bar du village où nous rencontrons les « Epurenois ». Dont Cristiano, un roumain tout juste revenu de Malaga en Espagne après trois mois passés sur les chantiers. La nostalgie se lit dans son regard. Il se voit rapidement repartir.
Nous discutons avec lui, le temps que le maxi taxi arrive. Annoncé par les villageois à 16h30, point de véhicule à l’horizon. Le temps passe. 17h, 17h30, 18h… Nous nous impatientons, la perspective d’une nuit chez Vasile et sa femme ne nous enchantant pas outre mesure. Cristiano nous prend alors sous son aile, cherche un chauffeur pour nous reconduire à Iaşi. Personne ne semble être assez sobre dans le village pour nous y reconduire. Encore moins Vasile qui enchaîne les bières… Nous regagnons finalement Iaşi vers 19h, en voiture cette fois-ci, mais nous n’oublierons pas l’hospitalité et la générosité de Vasile, qui a défié sa femme pour deux petits français.
Floriane et Fabrice
PS: Voır les photos de cette journee sur Flickr!
De Bucarest à la Moldavie: journal de bord
Bucarest
Rien de tel que la capitale pour démarrer un voyage dans le pays. Nous posons nos sacs pour une semaine dans une auberge de jeunesse, un endroit paisible en plein coeur de Bucarest. De ce QG nous partons à la découverte de cette ville animée, bruyante et étonnante, où se mêlent les immeubles délabrés et les voitures de luxe.
À la sortie d’un lycée, nous rencontrons Claudiu, un micro à la main, qui interview les élèves sortants de l’examen du baccalauréat. Ce jeune homme de 23 ans travaille comme journaliste pour la BBC, il sera l’un des personnages du reportage. Autre rencontre, autre jeune homme, Edmund, 18 ans, a créé une association de jeunesse pour inciter sa génération à s’investir dans la société civile et à s’intéresser à la culture de son pays. Il s’avère un fervent défenseur du folklore et des traditions. Avec lui, une partie du groupe visitera le musée du village, qui réunit différents types d’habitats traditionnels de la Roumanie.
Guidés par Cristina, notre partenaire roumaine, nous découvrons aussi les lieux incontournables de Bucarest comme la place de la révolution, le Parlement… Le bar de la Motoare fait aussi partie des ces endroits très fréquentés par les Bucarestois. Nous y croisons Vlad, jeune étudiant en architecture qui nous expose un point de vue plutôt critique sur l’Union européenne.
Pour l’équipe de Safar, cette première semaine est avant tout marquée par l’apprentissage des techniques de tournage, l’acclimatation à la vie en groupe, mais aussi l’effervescence de toutes ces rencontres, au rythme de la capitale. Les soirées à l’auberge sont souvent animés par Stan à la guitare et Flo aux boules phosphorescentes.
Iaşi
Deuxième étape du périple, Iaşi, principale ville de Moldavie, est aussi réputée pour son université de qualité. Étudiante à la Faculté de journalisme, Oana, notre partenaire roumaine, nous a trouvé des chambres sur le campus universitaire. En plein mois de juillet, il ne reste guère que quelques étudiants dans les couloirs de ce foyer au confort rudimentaire, les autres jeunes étant rentrés chez eux pour les vacances. Mais nous imaginons les périodes de révision, à cinq par chambre, sur des lits superposés branlants, et les voisins bruyants à supporter…
Parmi nos rencontres estudiantines, Alin a encore un projet à valider pour clore son année d’étude en informatique. Il profite du week-end pour retrouver sa famille dans un village à la frontière ukrainienne. Une partie de l’équipe le suit dans ce petit coin perdu de campagne, à l’extrême-nord est de la Roumanie, aux frontières extérieures de l’Europe. Nous y serons accueillies comme des reines, malgré les maigres ressources de nos hôtes.
Pendant ce temps, l’autre partie du groupe fait la connaissance de Mirela et Radu, un couple non-gitan mais passionné de musique tzigane (lautari). Mirela, parallèlement à son groupe de rock amateur, a tenté d’apprendre la langue des Rroms afin de traduire leurs chansons. Mais il est difficile de pénétrer la communauté gitane lorsque l’on n’en est pas issu. Elle s’est rendu à Ciurea, village situé à quelques kilomètres de Iaşi et qui abrite une communauté tzigane. Elle a pu échanger avec une jeune fille des cours de Rrom contre des cours d’anglais. Curieux, nous nous rendons à Ciurea, une découverte forte en émotions. Ce village est habité par la famille Stanescu, qui possède des demeures imposantes et luxueuses sur le sommet de la colline. Une communauté étonnante et fière, mais protectrice de ses secrets.
Mirela et Radu nous ont aussi permis de rencontrer Catalin. Tzigane et fier de l’être, mais dans un tout autre style. Il étudie, vit et s’habille comme n’importe quel Roumain non gitan. Sa copine est blonde, ainsi que les copines de ses frères. Mais il garde un lien très fort avec sa culture, par le biais de la musique traditionnelle tzigane. En guise de gagne-pain, Catalin, accordéoniste de talent, joue tous les soirs dans un restaurant huppé de Iaşi, avec son père et ses deux frères. Il rêve de remporter un jour l’Eurovision.
Côté vie quotidienne, un petit chat nommé Safar, (quelle originalité, direz-vous!) a partagé la chambré de Jessica, Floriane et Cristina pendant quelques jours. Le pauvre chaton qui s’était frotté de trop près au goudron à attiré la sympathie des filles. Après l’avoir conduit chez le vétérinaire, et l’avoir nourri au whiskas chaton, elles ont été contraintes de le remettre dehors. En effet lors d’une vérification imprévue des chambres, nous avions oublié de cacher sa litière. Lorsque la matrone du campus a demandé à Jessica s’il y avait un chat ici, celle-ci à nié. Au même moment Safar sortait sa petite tête du sac de Jess!
Et bien sûr, retrouvez les photos sur Flickr!
Mirela, manouche, musique et mystère
Flamonzi, c’est l’histoire d’un roi Roumain qui promit aux Tziganes de leur donner une terre s’ils l’aidaient à gagner la guerre. D’après la légende, jamais le roi n’honora sa dette envers le peuple gitan. Ceux-ci, condamnés à l’errance, se sont depuis dispersés dans le vaste monde, si bien qu’aujourd’hui ils sont présents un peu partout en Europe et sur la terre, sans être chez eux nulle part…
C’est Mirela, chanteuse de 24 ans, étudiante à Iasi en Moldavie, qui m’a contée cette histoire, fable du malheur qui frappa ce peuple.
Aujourd’hui en Roumanie, dire qu’on n’aime pas les tziganes, c’est un peu penser comme tout le monde. Menteurs, voleurs et buveurs invétérés, n’allez pas chercher plus loin : c’est eux, là, dans leurs caravanes. Déguenillés, mendiants et sales, c’est encore eux.
Loin de rejeter cette culture qui selon elle, fait partie du patrimoine de la Roumanie, Mirela voudrait la «comprendre à travers la musique». Avec son groupe de rock, «I hate Mondays», elle explore et redécouvre à partir des textes anciens et mélodies lautari, la musique traditionnelle tzigane.
Poussée par la curiosité et le désir de comprendre le sens des paroles qu’elle chante, elle a voulu apprendre le Rromani, la langue des Rroms.
À Ciurea, où vit une importante communauté tzigane, Mirela a rencontré Alba, une jeune femme avec qui elle a conclu un accord: Alba lui apprendrait sa langue en échange de cours d’anglais. Au début de l’hiver, Mirela s’est rendu compte que leur pacte coûtait cher à son amie, battue par sa famille pour avoir divulgué le secret de la langue des Rroms à une gadjo, une non tzigane.
Mirela se refuse à juger les tziganes ou encore leur manque d’ouverture, car leur charme vient aussi du mystère qui enveloppe leur vie, leurs rites, leur langue.
De toute façon, autant se résigner : le monde de Ciurea semble trop étrange pour être compris. Et même si des centaines de questions assaillent l’esprit, mieux vaut encore ouvrir grand les yeux et la bouche devant ces maisons surchargées et opulentes qui font la fête avec les couleurs comme les robes multicolores des femmes qui y vivent.
Mais la curiosité l’emportant, l’une des premières questions que l’on se pose est: Comment font-ils pour construire ses palais? Les gitans de Ciurea s’occupent essentiellement de «trouver», revendre, échanger du métal. Traditionnellement, ils font partie de la communauté qui fabriquait des seaux, les càblàrari, mais leur métier a évolué avec la société qui les entoure. Les Rroms sont en effet traditionnellement partagés en six sàtrà : les càblàrari, les lingurari qui fabriquent des cuillers en bois, les Xurari des bijous en or, les Xiurari des tamis à farine, et enfin les Ursari, des dresseurs d’ours. Ces derniers, sorte de troubadours à la roumaine, montaient des spectacles de village en village dans toute la Roumanie. À l’aire du passeport et de la propriété privée, la tradition du divertissement est restée, le nomadisme en moins. Les chants et la musique lautari empreints de nostalgie reflètent encore aujourd’hui la douleur d’un peuple dont «la vie est si noire qu’il a besoin de couleurs».
Floriane
Iaşi en travaux
Une promenade dans les rues de Iaşi nous révèle aujourd’hui une ville à trois visages.
On rencontre d’abord un vieux Iaşi, témoin de la longue période durant laquelle cette ville fut la capitale de la Moldavie. Ses églises, quelques-unes datant du XIVe siècle, ses édifices imposants, œuvres des architectes portant des noms sonores, ses jardins et ses parcs gardent encore un parfum d’époque…
Le deuxième visage de Iaşi est «ouvrier». Il perce de nombreux quartiers de blocs construits à la période Ceauşescu afin d’abriter les travailleurs venus de la campagne pour faire marcher «la grande industrie de la patrie».
Depuis une vingtaine d’années un Iaşi «des consommateurs» a fait son apparition. Les malls sont les nouveaux centres d’intérêt de la ville. Tout comme les super et hyper marchés. Les grues, visibles partout dans la ville, travaillent jour et nuit pour élever toujours plus d’espaces commerciaux.
Dirigeons nous sur le boulevard Charles I qui traverse le Copou, quartier historique de la ville. Sur ce boulevard, des maisons du XVIIIe siècle, l’Université, l’Académie roumaine sont désormais encadrées par des pizzerias ou des boutiques de téléphones portables. Les grands magasins de la période communiste, qu’on était si habitués à voir vides, abritent aujourd’hui des sièges de banque et des supermarchés qui abondent en produits.
Dans le centre-ville, notre promenade se prolonge sur le boulevard Etienne le Grand, lien entre les deux grandes places de Iaşi. Sur l’une d’entre elles, la Place de l’Union, on voit apparaître entre la librairie Junimea dont le nom renvoie à l’association culturelle fondée au XIXe siècle, et l’hôtel Traian, œuvre de Gustave Eiffel, une pizzeria, chaque soir bondée.
L’autre place, organisée traditionnellement autour du Palais de la Culture, construit sur les ruines de la cour princière, est en pleine métamorphose. Le Moldova Mall, surnommé «le cœur de la ville» a remplacé le «Supermagazin Moldova» (grand centre commercial de la période d’avant 1989). Derrière le Palais s’étale un chantier immense. Dans quelques années un grand ensemble urbanistique multifonctionnel comprenant des espaces pour des activités économiques, de récréation et culturelles, surnommé le projet «Palas», verra le jour.
Pourtant, les habitants de Iaşi ne semblent pas avoir digéré ce nouveau visage de leur ville. Ils parlent encore de Iaşi comme un temple de la connaissance (référence au fait que la première université roumaine fût fondée ici en 1860). Ils évoquent encore la liste d’illustres écrivains et poètes que la région a donnée à la Roumanie au XIXe siècle et voient leur ville comme un grand centre culturel du pays. Mais, ils le font étant assis à une table de fast food et en préférant regarder un film au Mall qu’une pièce de théâtre.
Cristina
Ciurea: des palais tziganes en Moldavie
On les aperçoit du train avant d’arriver à Iasi. Sur la droite, des toits en fer ciselé se détachent sur la colline, coiffant des maisons surchargées de décoration. Telle une apparition, ce groupement de petits châteaux farfelus détonne au milieu de la campagne roumaine.
Voici Ciurea, village moldave, situé dans la région la plus pauvre de Roumanie [prononcer «Tchiourea»]. Ciurea, comme la plupart des villages roumains, est scindé en deux: une partie roumaine d’un côté, et de l’autre côté de la voie ferrée, bien en vue sur les hauteurs, une partie tzigane.
C’est là que vivent les Stanescu, ou du moins l’une des branches de cette famille de gitans réputés fortunés. Du plus petit au plus âgé, tous les habitants du village portent le même nom de famille. Ils habitent des villas opulentes, qu’ils entourent de grilles en fer forgé, et
couvrent de fresques ou de couleurs criardes – mais les habitent-ils vraiment? Des gadjis – non-tziganes – nous disent que non, qu’ils dorment à côté et ne s’en servent que pour recevoir, ou comme faire-valoir. Démonstration de richesse, goût pour le luxe ou l’apparence, véritables lieux de vie? Malgré l’amabilité des habitants, nous ne parviendrons pas à visiter de maison, si ce n’est un hall d’entrée tout aussi kitsch que la façade, chacun prétendant ne pas avoir les clefs.
Le contraste est saisissant avec les conditions de vie précaires des gitans que nous avons l’habitude de croiser en France. Entre méfiance et fierté, les Rroms de Ciurea entretiennent un mystère que deux visites ne nous permettront pas de dissiper.
Voici trois rencontres, trois regards croisés sur une communauté à laquelle nous nous sentons bien étrangers.
Entre rêve, cauchemar et réalité
Jupe à fleurs haute en couleurs, cheveux tressés et fichu sur la tête, à l’entrée du village tzigane, une jeune fille vient à notre rencontre. Elle sera notre ange gardien pendant toute la visite de Ciurea. A mesure que nous grimpons sur la colline, au milieu des demeures gigantesques, Brandusa nous conte son histoire.
Il était une fois une petite fille qui, abandonnée par ses parents, grandit dans un orphelinat jusqu’à l’âge de 18 ans. Pendant toutes ces années, elle était habillée comme n’importe quel autre enfant roumain, n’imaginant à aucun instant qu’elle pouvait être différente. A sa majorité, on la ramena à Ciurea. Elle y découvrit sa famille et son identité tzigane. A 22 ans, un homme de la communauté l’enleva, le mariage fut aussitôt prononcé. «Ils se marièrent mais n’eurent aucun enfant…». Brandusa nous avoue même avoir un amant.
On est loin du conte pour petite fille. Histoire vraie ou fabulation d’une enfant malheureuse, peu importe, la réalité est que Brandusa vit ici, mais rêve d’être ailleurs. Si d’un coup de baguette magique, la brouette du jardin pouvait se transformer en avion, elle partirait volontiers en France avec nous.
Mihai, celui qui se prétendait chef du village
Mihai Stanescu et son fils, Dragus Stanescu, gardent une maison en chantier en bordure de Ciurea. Dragus n’a que 10 ans, mais se marie l’an prochain. La maison lui est destinée. D’après les explications de son père, les enfants d’ici se marient vers 12-13 ans. Les parents du garçon fournissent la voiture et la maison, ceux de la fille 100 pièces d’or.
Les premiers Stanescu de Ciurea seraient arrivés en caravanes il y a une soixantaine d’années et la construction de ces petits palais remonterait à 30 ans seulement. Certains sont inachevés, comme s’il s’agissait de carcasses vides. Les routes sont toujours en terre. La surface moyenne d’une maison: 600 mètres carrés au sol, 1200 mètres carré au total. Mihai justifie les toits en étages en évoquant la mode chinoise, les pagodes sans doute. Avec ses tourelles, ses petites flèches pointées vers le ciel, elle nous fait plutôt penser à certains châteaux roumains.
Des villages de ce type, la Roumanie en compterait plusieurs – entre 3 et 6 selon nos informations, toujours des fiefs Stanescu. Certaines demeures arborent fièrement sur leur fronton le logo de Mercedes, qui s’avère également un prénom très courant pour les filles.
Les habitants de Ciurea ne semblent pourtant pas baigner dans le luxe. Les jeunes, certes, apportent un soin particulier à leur apparence, tels ces deux ados, sourire au coin des lèvres et regard ténébreux à l’appareil photo: tout de blanc vêtus, chemise au col relevé, mocassins au pied, lunettes de soleil, croix en or autour du cou.
Les femmes ont toutes deux longues tresses noires qui leur encadrent le visage, un foulard noué derrière la tête et des jupes fleuries, longues elles aussi. Jeunes, elles pourraient être mannequins; passé l’âge du mariage, elles grossissent irrémédiablement. Les hommes, enfin, portent le chapeau et ressemblent à n’importe quel paysan en habit de travail. Quant à leur travail justement, et à la source de leur revenu: «Ferraille et business», répond Mihai. Nous n’en saurons pas plus.
Lacry, la rebelle
Pas jolie au point d’en être difforme, pas plus haute qu’une enfant de 10 ans, pas mariée, pas habillée comme les autres filles… Bref, pas comme les autres. Lacry, 30 ans, part en Suisse rejoindre sa troupe de cirque dans quelques jours.
Mise à l’écart par sa malformation, elle ne s’est pas mariée à l’âge ou d’autres jouent encore à la poupée. Et puis, quand on ne peut pas plaire, a quoi bon porter ces longue robes colorées qu’elle dit ouvertement détester? Loin d’en être affligée, elle semble s’épanouir dans ce rôle qu’elle s’est forgé, comme une réponse psychique à sa différence physique. Dénuée de charme mais dotée d’un caractère bien trempé, «Lacry la rebelle» veut parler et non paraître, se sent moderne et, summum de sa rébellion, porte des pantalons.
«Regardez comme elle est jolie, c’est la plus belle!»: Lacry exhibe fièrement sa nièce, prénommée Gardina (Jardin). Vêtue d’un orange chatoyant, jupe longue et décolleté plongeant, la belle plante du village reste muette et se cantonne à son rôle de potiche. Tout le contraire de Lacry, un moulin à paroles qui baragouine dans quatre langues, en plus du roumain et du Rromani (la langue des Rroms). Toujours sur le départ, Lacry clame fièrement sa désobéissance aux règles. Contre la volonté de son père, pourtant chef du village, elle est partie de chez elle assez jeune pour rejoindre une troupe franco-algérienne. Pendant huit ans, elle a tourné en France, en Italie, au Portugal. Lorsqu’elle rentre au bercail, elle loge chez son frère et non chez ses parents.
«Je n’aime pas cet endroit», ne cesse-t-elle de répéter. Elle s’apprête à repartir dans quelques jours pour la Suisse. Fuyant le destin tout tracé des femmes de Ciurea, elle invente son propre chemin à mesure qu’elle voyage, à rebours d’une communauté fermée sur elle-même, méfiante face à l’étranger et rétive au changement.
Histoires racontées par Anna, Charlotte et Floriane
PS: voir les photos de Ciurea sur Flickr!
Cinéma roumain: salles en crise, réalisateurs brillants
Depuis la fin du communisme, le phénomène de désertification des salles de cinéma en Roumanie ne cesse de s’amplifier. Paradoxalement, la nouvelle vague de cinéastes annonce le retour d’une période faste pour le cinéma roumain.
Jeudi soir au cinéma Victoria de Iasi – mille places et seulement un spectateur dans la salle. Sans notre présence, la projection du film «Las Vegas 21» n’aurait pas eu lieu, un minimum de deux spectateurs étant requis. Avec un prix d’entrée de 8 Lei (soit près de 2 euros), la séance n’est pas rentable. Les entrées suffiront à peine à couvrir les frais d’électricité.
A Iasi, les trois cinémas étatiques, le Victoria, le Republica et le Dacia vivent la même crise. Les salles combles de la période communiste ne sont plus qu’un lointain souvenir. Il faut dire qu’à cette époque le cinéma était l’un des seuls divertissement offert à la population, une distraction qui restait néanmoins très contrôlée. Chaque jour, les sièges sont désertés un peu plus. Après deux heures passées sur un fauteuil inconfortable, peinant à comprendre les dialogues du film étant donnée la mauvaise qualité du son, il est facile d’imaginer que le spectateur préfère rester devant sa télévision, son ordinateur ou encore aller au cinéma dans un mall.
La concurrence des cinémas nouvelles technologie
Depuis 2007, deux cinémas ont été construits dans des malls, ces grands centres commerciaux de Iasi, des concurrents supplémentaires pour les cinémas étatiques, qui souffraient déjà de la démocratisation d’Internet et du téléchargement.
A présent, les supers productions américaines monopolisent tous les écrans de la ville, au grand désarroi de Paulina Breaur, directrice du Republica. Malgré sa fonction, Paulina n’a aucun droit de regard sur la programmation de son cinéma. A Bucarest, la société Romania Film gère la distribution de tous les cinémas d’Etat. Pour Paulina, seule une spécialisation dans le cinéma d’art et d’essai et l’organisation d’évènements culturels permettraient aux cinémas étatiques d’attirer à nouveau le public. Mais cette vision ne semble pas partagée, voire même envisagée, par les autorités du pays.
Une nouvelle génération de cinéastes engagés
Pourtant ce n’est pas la matière qui manque en terme de films d’auteurs. Depuis les années 2001, une nouvelle génération de cinéastes roumains réalisent chaque année des oeuvres engagées et de qualité. «Ryna» de Ruxandra Zenide, plonge le spectateur dans la dureté du quotidien des habitants du delta du Danube: pauvreté, alcoolisme, corruption… Récompensé en 2007, par la Palme d’or à Cannes, Cristian Mungiu aborde dans son film «4 mois, 3 semaines et 2 jours», le sujet de l’avortement pendant la période communiste. Autre style… Dans «A fost sau N-A fost», Corneliu Porumboiu a choisi de traiter sur un ton comique, voire ironique, la révolution. Ces jeunes réalisateurs très prometteurs ont reçu les honneurs de nombreux festivals et la reconnaissance du public, un public……… plus étranger que roumain.
Anna
Des foyers dégradés mais convoités
Au cours de notre périple, nous avons logé quelques jours dans une résidence universitaire de Iaşi, pincipale ville de la Moldavie, dans l’est du pays [prononcez « Iach »]. La ville étudiante par excellence. Chambres surpeuplées, sanitaires dans un état déplorable, musique jusqu’à trois heures du matin… Comment peut-on décemment étudier dans ces conditions ?
Les places en résidences sont très recherchées malgré leur mauvais état. Attribuées sur mérite, elles béneficient seulement aux meilleurs étudiants de chaque promotion. «En dessous de 7, parfois même de 8 [sur 10] il ne faut pas espérer avoir une chambre», explique Cristina, étudiante en sciences politiques. En théorie du moins … En dessous de 7, il peut être utile de connaître l’administrateur et de lui verser un pot de vin… La corruption semble chose courante dans les foyers.
Chaque université gère ses propres résidences. Ici encore, deux poids deux mesures. Les universités de polytechnique – appellées ici «La Polytechnique» – ont beaucoup plus de résidences que celles où l’on enseigne les Humanités. Un héritage du régime communiste qui avait particulièrement mis l’accent sur la formation de ses ingénieurs. Les étudiants de polytechnique sont ainsi presque tous assurés d’avoir une place en résidence.
La plupart des foyers comptent des chambres de quatre ou cinq personnes. Rares sont les chambres de deux, inexistantes sont les chambres individuelles. Oana, étudiante en journalisme, a vécu dans une chambre de cinq durant ses deux premières années universitaires à Iaşi. «Heureusement, j’ai pu être avec de très bonnes amies», explique-t-elle. Alin, étudiant en informatique, n’a pas eu la meme chance et a dû quitter la résidence tellement il ne s’entendait pas avec ses colocataires.
Dans ces conditions, quels avantages y a-t-il à être dans une résidence universitaire ? Les loyers, tout simplement, qui y sont vraiment minimes. A Bucarest, une place dans un foyer coûte entre 25 et 30 euros par mois. En comparaison, un studio à Bucarest coûte dans les 400 euros par mois ! Certes, Bucarest est une ville très chère en ce qui concerne l’immobilier. Pourtant, même à Iaşi, les loyers varient du simple au double entre résidences et appartements. Comptez entre 30 et 100 euros en foyer – la chambre à 100 euros bénéficiant du tout confort avec frigo, Internet et salle de bain privée inclus – et une moyenne de 350 euros pour un logement en ville.
Les étudiants roumains s’estiment donc très heureux d’obtenir une place en foyer et l’améliorent par leurs propres moyens. «On a tout nettoyé, repeint les murs et apporté nos propres meubles… Presque tout le monde fait ca», raconte Cristina.
Ainsi, le logement étudiant reste une question difficile en Roumanie, ce qui explique aisément pourquoi les etudiants en ont fait une de leurs principales revendications (cf.article précédent « Aperçu des revendications étudiantes en Roumanie« ).
Jessica